TÉMOIGNAGES

Témoignage de N.

27 mars 2020

En avril 2015, ablation de la vésicule biliaire, en septembre vives douleurs, où allez ? quoi faire ? hypothèse de résidus de calculs dans le canal cholédoque, pour autant à l’imagerie (échographie, irm) on détecte une tâche sur le pancréas

A l’hôpital Beaujon de Clichy, je consulte le Pr Sauvanet – vivre plus d’un mois avec une suspicion n’est pas simple, dans la perceptive prochaine du mariage de ma fille je cache tout à mes 3 enfants – la biopsie réalisée lors de l’échoendoscopie doit révéler la nature cancéreuse ou pas de la tumeur qui est en contact avec le canal de Wirsung- à l’anapath, après 15 jours d’attente l’opération est indispensable, 8 heures de chirurgie le 5 novembre – 3 semaines plus tard je marie ma fille, mes 2 grands fils vivent respectivement à Singapour et Shangaï – je n’informe pas le plus jeune de 26 ans, c’est quand il s’inquiète au sujet des attentats du bataclan et m’appelle à paris que je lui annonce avoir été opéré 8 jours plus tôt d’un cancer du pancréas et que … tout à bien !

Pas de voyage de noce pour ma fille, je reste hospitalisée 18 jours – visite post opératoire 5 semaines plus tard en présence de l’oncologue Pr H, la tumeur était bien localisée, 85% de l’organe a été extrait, la tête est conservée, à ce stade pas de diabète.

A redouter, le pancréas secrète suffisamment d’insuline, je suis jeune et le cœur solide – chimiothérapie, gemcitabine pendant 3 semaines à l’hôpital puis une pose en quatrième semaine au total 18 séances – pose d’un cathéter à chambre implantable, nous sommes le 21 décembre mes fils viennent à paris pour noël, c’est la première séance, j’ai tous les effets secondaires imaginables : fatigue extrême, fièvre, nausée, chute de cheveux – j’étais un zombie, impossible de travailler durant la semaine – je ne peux accéder directement au service dans lequel je suis suivi à l’hôpital Beaujon, passage par urgence obligation, 3 ou 4 heures d’attente malgré mon dossier et traitement de chimio, je signe décharge – douleurs abdominales violentes j’y retourne le soir même et force la file d’attente – scanner, irm – pose sonde nasogastrique inefficace, Pr S suspecte métastase, je ne l’apprendrai que plus tard – on opère à nouveau – occlusion sur bride, en général 10 ans après intervention chirurgicale, moi, ce sera 4 mois – arrêt et report de chimio adjuvante – 1 an après l’arrêt de la chimio, Pr H ne parle pas de rechute qu’il associe à métastases, mais d’un second cancer sur même organe – exérèse totale du pancréas (pancréatectomie) –

Opération août 2017, 48h de soins intensifs pour tenter de gérer diabète – à Beaujon pas d’endocrinologue, pour traiter le diabète, 12 jours d’hospitalisation, transfert dans service diabéto de Cochin – vivre sans pancréas était pour moi inimaginable – en 48h je comprends la prise en main, maladie de personne « éduquée, intelligente » me dit-on, je lutte contre ma phobie des piqures – j’apprends à gérer ma glycémie avec mise sous pompe, ce qui exige une hospitalisation d’une semaine, « on m’éduque », j’entame régime glucidique, atelier avec des diététiciennes, des nutritionnistes – j’ai une complexité qui m’est propre, après hypoglycémie rétablir l’équilibre est très long de l’ordre de 40 minutes, communément c’est 15 minutes, mon foie ne transforme plus les graisses en sucre suite aux interventions chirurgicales que j’ai subies – en diabéto aujourd’hui, on adapte pas son mode de vie à son diabète, on vit normalement et on adapte le diabète à notre mode de vie – je n’ai pas changé de mode de vie, je mande du sucre, je fais du sport et je continue à travailler – parfois mon organisme me rappelle à l’ordre, je suis certes parfois fatiguée – 2ème chimio après deuxième  intervention, même molécule mais protocole différent, 6 séances sur 3 mois, pour autant j’ai arrêté au bout de 3 séances, ne la supportant pas – ma fille est enceinte de son 2ème enfant au moment de mon deuxième cancer, ma seconde opération et de mon deuxième traitement de chimio – je veux voir mon 2èmepetit fils naitre, être « en bon état » – Pr H a respecté ma décision, les décision, les résultats étant pas trop mauvais, les marqueurs bons, on a arrêté ) dernière séance chimio novembre 2017, depuis je suis « surveillée, pendant les 2 années qui suivent tous les 3 mois (scanners), puis si tout va bien passage tous les 6 mois pendant 3 ans, puis tous les ans –

Psychologiquement ce qui a été difficile ? Être seule, mes enfants ne vivent plus chez moi – si c’est ma destinée et que je ne m’en sorte pas, je l’admets, mais laisser mes 3 enfants, même s’ils sont adultes m’était insupportable – je suis un peu jeune pour partir, à ma première opération j’avais moins de 50 ans – mais l’épreuve la plus lourde c’est la chimio qui m’a mise à terre – 

Lors de échoendoscopie avant de m’opérer de la vésicule en décembre 2014, le médecin avait vu quelque chose et dit « à surveiller dans un an », je ne me suis pas inquiété, or j’ai été opérée en novembre 2015 par Pr S – c’était très localisé, et je n’ai pas eu de métastases, là est ma chance et c’est pourquoi je suis vivante – dépistée précocement, pas à proprement parlé, non, cela relève plutôt du hasard, c’est à l’échographie prescrite par mon généraliste pour les douleurs de crise liées à la vésicule 6 mois après l’opération, qu’ils ont observé autre chose – aucun symptôme, pas d’ictère, pas de perte de poids, – je pense qu’il faudrait trouver un moyen de dépister, ce qui coûterait moins à la collectivité que de supporter les traitements de chimio pour tenter de réduire métastases et tumeurs, en se disant que si le traitement est efficace on pourra intervenir après – 

Quant à ce qui a permis de traverser cette longue et lourde épreuve, de garder l’espoir, je dirais que ce qui m’a tenu, et c’est propre à chacun, et que ma fille allait donner naissance, que je pense à mon petit-fils, tellement envie d’être grand-mère – je ne voulais pas une nouvelle vie qui arrive et qu’une parte, mes 2 parents sont décédés relativement jeunes, ma mère à 69 ans en 2003 et 72 ans en 1994 pour mon père – je suis trop jeune, la médecine évolue, fait des progrès, je ne vais pas mourir encore plus jeune qu’eux, il faut que je me batte. 

La force qui m’attache à la vie, c’est d’ignorer les « justes milieux », c’est Off ou On – çà passe ou çà casse ! battante, opposer une force de caractère à l’antagonisme, je ne suis pas de nature dépressive : ne pas se laisser abattre – certains moments furent difficiles durant les chimio – d’origine juive Ashkénaze (il y aurait prédisposition ou prédilection à ce type de cancer, ce qu’une étude semblerait corroborer selon DR S), si ma famille n’a pas subi la déportation mes parents m’ont raconté la guerre, la fuite pour survivre pour échapper au pire – je me regarde dans une glace j’ai perdu 10 Kg , je me fais peur, on dirait quelqu’un qui sort de camp, c’est une horreur – je me suis parfois effondrée chez moi , çà durait 24h – à Beaujon le recours à une psychologue tous les 15 jours, m’a permis de parler, de confier ce que je ne pouvais dire à mes enfants « lâcher prise » me « lâcher » en quelque sorte – et puis, repartir, redémarrer, elle m’avait dit que ces ressources vitales, cette manière d’exister coûte que vous en coûte, ne pas faire à-demi émanaient probablement de mon histoire familiale, peut-être de l’Histoire d’un peuple – parce qu’il s’agissait de 8h de bloc opératoire, il se pouvait que je ne me réveille pas, ou sous respiration artificielle ; il était clair que je ne voulais pas d’acharnement, des lettres en ce sens étaient prêtes  pour mes enfants, mes dispositions testamentaires prises auprès de mon notaire – 

Sans les équipes médicales on ne s’en sort pas, mais il nous incombe de vouloir traverser l’preuve, se battre ou alors d’opter pour l’abandon et on y arrivera pas – 

A Beaujon sur les 3à dernières années 120 patients ont subis une pancréatectomie totale pas davantage, en générale l’exérèse est partielle – je témoigne à ce titre, j’ai d’ailleurs été en contact d’ailleurs avant mon opération avec une femme qui vivait sans pancréas depuis plus d’une douzaine d’années – 

Aujourd’hui j’essaie d’oublier, c’est derrière moi, de me dire que je ne suis pas malade, belle et bien vivante et vais de l’avant – ce n’est pas complexe à vivre même si je vis avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête dans cette surveillance soutenue d’une manifestation cancéreuse autre – je m’en suis sorti, je me dis que je ne suis pas malade même si je suis rappelée à l’ordre par les contrôles , et le diabète qui se gère relativement bien avec une hémoglobine gliquée (sa valeur biologique permet de déterminer la concentration de glucose dans le sang) à 6,7 mais pas si simplement, c’est une « maladie sournoise » – je contrôle ma glycémie trente fois par jour, la pompe me permet d’effectuer les corrections, le capteur qui évite de me piquer le doigt … C’est vivable.